"Manger du raisin
Une grappe après l’autre
Comme une grappe de mots"
Mukai Kyorai (1651-1704)
Pour la rentrée les souris vertes vous proposent une activité totalement incongrue, un reliquat des siècles passés dont peut-être certains auront entendu parler leurs grands-parents lors d'une conversation lointaine autour d'un feu : la lecture d'un livre. Au secours ! Mais un livre numérique au moins ? Un eBook qu'on peut lire sur tablette ? Non non non, pas du tout, on parle bien d'un livre en papier. Oui, ça fait peur, je sais, surtout qu'il n'y a même pas d'images, ni de CD-ROM inséré dans la couverture. Alors, pour être tout à fait honnête, on trouve une version pour liseuse de ce livre, ce que pour ma part je trouve légèrement en contradiction avec ses propos, donc je persiste à inviter ceux qui en auraient perdu l'habitude à se faire une petit expérience "low tech" avec un livre à la main, vous verrez c'est très agréable.
Ca y est les souris s'impatientent derrière moi, elles aimeraient bien quand même qu'on en vienne à parler du contenu du livre, au boulot quoi. Alors oui, notre petite lecture s'intitule "L'âge des low tech", un ouvrage pas trop gros de Philippe Bihouix, qui est si j'ai bien compris ingénieur sur les questions d'extractions de minerais. On pardonnera le titre un peu franglish pour se concentrer sur les propos de l'auteur, qui nous ont bien intéressés aux souris vertes.
C'est que, contrairement à beaucoup des discours actuels sur l'écologie qui à chaque fois s'extasient sur la vue d'une éolienne ou d'un panneau solaire, l'auteur prend très au sérieux la proposition d'imaginer un avenir soutenable et déroule une logique implacable qui révèle pas mal de contradictions dans la manière dont on envisage la fameuse transition écologique. En effet, si on ne s'intéresse qu'à la production d'énergie, on peut conclure assez rapidement qu'il suffit de substituer aux énergies fossiles limitées, toutes sales et franchement vilaines des énergies renouvelables sympathiques qui fleurent bon la lavande et le thym. Mais dès qu'on se rend compte que les systèmes de production de ces énergies demandent non seulement eux-mêmes de l'énergie pour être mis en place, mais surtout des minerais qui sont eux-mêmes en quantités limitées et bien polluants à extraire, on comprend qu'on a un petit souci. Surtout si on se rappelle que, dans l'histoire, aucune nouvelle source d'énergie n'en a supplanté d'autres, et que celles-ci n'ont jamais fait que s'ajouter les unes aux autres ; il est donc à craindre que les énergies renouvelables ne viennent finalement que gonfler la facture totale d'énergie dépensée, et ne soient pas la martingale tant attendue pour résoudre d'un coup tous les problèmes de notre société moderne.
Bref, ceci n'est qu'un petit exemple et je ne vais pas vous dévoiler tout le suspense du livre, et toutes les fausses évidences qu'il démonte, mais l'auteur fait une démonstration très convaincante du fait que la technologie, quelle qu'elle soit, ne va pas nous sortir d'affaire, et qu'il est temps de se (re)tourner vers ce qu'il appelle les low tech, c'est-à-dire en gros tout ce qui demande peu d'énergie, peu de matière première, et certainement pas mal de travail humain. Alors, évidemment, ça n'est pas forcément ce qu'on a envie d'entendre, mais justement l'auteur ne prend pas vraiment la peine de caresser ses lecteurs dans le sens du poil, ce qui en fait une lecture finalement assez réjouissante. Et pour ne rien gâcher, il écrit dans un style que ne renieraient pas les souris vertes, loin de là !
La deuxième partie du livre est consacrée à des exemples d'alternatives que l'on pourrait apporter à notre mode de vie, de l'alimentation au transport, en passant pas les emballages et, oui oui, par quelques considérations sur les appareils numériques. On n'est pas obligé d'adhérer à tout ce qui est dit, surtout que certaines idées sont assez farfelues et relèvent plutôt parfois de la provocation en bonne et du forme. Une citation qui a fait bien rire quelques souris montre bien l'esprit qui guide ces réflexions : l'auteur cite le dessin animé Madagascar, où un lion échappé d'un zoo demande à un lémurien de la forêt malgache qui lui parle de vie sauvage : "Tu veux dire sauvage, genre dormir dans une hutte construite avec de la boue séchée et s'essuyer avec des feuilles ?" Et le lémurien lui répond "Pourquoi s'essuyer ?". Donc soyez prévenu, Philippe Bihouix va nous titiller en demandant "pourquoi s'essuyer ?" à chaque fois que se pose un problème. On n'est pas toujours prêt à concéder nos habitudes et nos petits conforts à la solution qu'il propose, mais au moins la méthode a le mérite de nous faire nous interroger assez intensément sur nos besoins réels et supposés.
Donc, vous l'avez compris, les souris vertes recommandent chaudement la consultation de cet ouvrage qui vous fera voir d'un oeil neuf les questions d'écologie et de transition énergétique. Si vous ne lisez qu'un seul livre sur l'écologie cette année, et même si vous ne lisez qu'un seul livre tout court, et même si vous en lisez plusieurs finalement, lisez celui-là. Bonne lecture !