"Le messager
Offre une branche de fleurs de prunier,
Et puis la lettre."
Nagata Koi (1900-1997)
Bien. On aborde aujourd'hui un sujet qui me tient particulièrement à coeur (une souris à ma droite me pousse du coude gentiment pour que j'écrive "obsession maladive", mais je tiens bon), pour cette excellente raison qu'il s'agit d'un gaspillage énorme, incroyable, démoniaque, et dans des proportions dantesques à l'échelle planétaire, tout cela à cause d'un petit clic réalisé chaque jour par des millions de personnes inconscientes du danger qu'elles font ainsi courir aux ours polaires.
Qu'on se le dise d'emblée, la pièce jointe c'est le Mal Absolu, et nous allons nous efforcer de vous expliquer le pourquoi donc du comment de la raison de cet état de fait.
Au commencement jadis était le Mail. Ce petit protocole d'échange sympathique, gentil, et à son insu parfaitement écologique, faisait ce qu'il y avait de plus simple en la matière pour que les souris vertes heureuses puissent se passer le bonjour : sujet, verbe, complément, point barre. Mais tout à coup le ciel s'obscurcit, et le nuage des Gros Besoins se forme. C'est alors que tout un tas de machins noirs et collants sont ajoutés à notre petit protocole pour qu'il puisse absorber toute cette averse de nouveautés. Parmi ces objets nauséabonds, le plus gros, le plus visqueux, le plus sale, est de loin le Mime Maléfique : un nouveau protocole, adjoint au premier (Note De La Rédaction : il y a vraiment un protocole qui s'appelle MIME, pour ceux que ça intéresse) qui, au lieu d'un petit texte, va pouvoir embarquer n'importe quel fichier, dans un déluge d'octets et un grand rire démoniaque. La boîte de pandore est ouverte, le chaos est total, les souris vertes courent se réfugier à l'abri et le gros vilain déchaîné est laissé libre de tout saccager sur la terre. Rideau.
Voilà donc, résumée et pour les petits et les grands, l'histoire de notre protocole SMTP, celui qui permet d'envoyer des mails, et sans doute initialement le protocole le plus simple après le ping, dont se souviendront ceux qui ont lu l'article sur les réseaux sans s'assoupir. Mais comme je sens que ma superbe parabole n'emporte pas l'adhésion générale, et qu'il en faudra plus que ça pour vous faire renoncer à envoyer vos photos de famille par ce moyen si pratique qu'est le mail, je m'en vais vous conter par le menu ce procédé qui, dans un miracle quasi biblique, assure la Multiplication des Octets dans une proportion telle que les financiers les plus effrontés vont crever de jalousie avec leur minuscule effet levier qui leur permet de racheter l'univers avec deux centimes d'euro.
Détaillons donc le processus complet, en suivant votre message avec pièce jointe depuis votre petit appareil préféré jusqu'à son ou ses destinataires.
Choix cornélien s'il en est. Que pourrait-on envoyer à notre ami du bout du monde ? Si vous êtes un habitué des souris vertes vous vous doutez qu'il s'agit là d'une question piège. Déjà, on était en train d'envoyer un message texte (quelques octets), et pif on va commencer à vouloir coller une photo, une vidéo, ou un truc tout aussi dispendieux, donc multiplier d'un coup la taille de notre message par 100, 1000 ou plus. Ca part mal. Mais bon, disons qu'on ressent ce besoin absolu de montrer par l'image cette plaque de rue désopilante croisée ce matin sur son chemin. Avant de commettre le mal irréparable, on pourra déjà se demander si l'image en question est correctement encodée, et dans une résolution raisonnable. Ou bien on y va gaiement, et on envoie tout ça en 4000x3000 dans un format pas tout compressé, et vogue la galère. Clic.
Hop hop hop, pas si vite, on rattrape notre message avant qu'il ne s'échappe. C'est qu'il vient de subir une petite opération silencieuse mais bien rigolote pendant qu'on avait le dos tourné. Comme indiqué dans notre petite histoire, initialement le protocole SMTP n'est pas du tout prévu pour gérer autre chose que du texte. Il a même déjà du mal avec les caractères accentués, je ne parle même pas des langues exotiques, c'est dire. Il est donc bien embêté pour prendre en charge ce flot d'octets que vous lui donnez qui n'a ni queue ni tête. Pour contourner le problème, il va créer un Gros Sac (une partie appelée MIME adjointe au message) dans lequel il va mettre gentiment votre machin sans l'ouvrir. Mais comme il ne parle que l'alphabet élémentaire, il va devoir traduire votre fichier avec uniquement des chiffres et des lettres, et ensuite le compte est bon, youpi.
Vous vous êtes peut-être déjà demandé pourquoi quand vous ajoutez une pièce jointe, elle ne fait jamais la même taille dans le message que le fichier sur votre disque ? Ne cherchez pas plus loin, vous venez tranquillement de lui faire subir un encodage (en base64, pour les puristes) qui va multiplier gaiement sa taille par 1,4 peu ou prou. C'est le premier effet magique du mail, eh oui c'est incroyable ma bonne dame, mais ça n'est pas un protocole de transfert de fichiers.
Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Pourquoi se limiter à un seul destinataire ? On veut que tous nos amis profitent de la blaque, donc on envoie ça à la terre entière. Là c'est votre petit effet levier personnel, vous multipliez le message tout seul avec votre index. Oui, mais qu'est-ce que ça change si c'est un seul message qui fait son trajet jusqu'à un unique serveur où mes amis vont se servir ? Ah ben malheureusement la vie n'est pas si belle. De fait vous avez envoyé autant de messages différents que de destinataires, et en plus ils n'empruntent pas du tout le même trajet.
Voici donc la petite route que va suivre le message :
Bon, vous l'avez compris, vous venez de consommer des kilos de bande passante réseau pour votre petite blague. Mais ça n'est pas fini : votre message est resté collé dans plein de serveurs de messagerie. Plus précisément, votre super image se trouve maintenant répliquée sur votre propre serveur mail, dans votre boîte d'envoi, et dans la boîte de réception de tous vos contacts. Formidable ! Et, sachant que seules quelques souris vertes égarées prennent la peine de faire le tri dans leurs mails et de jeter l'inutile, votre fichier est donc installé à demeure sur 5, 10, 20 serveurs ou plus. Et rappelez vous qu'il avait déjà grossi par rapport à sa taille initiale. Pas mal hein ?
Mais il y a mieux : les serveurs mails sont LES serveurs sensibles par excellence. Imaginez le scandale si un fournisseur se mettait à perdre vos précieux messages ou à fermer son accès à votre boîte de messagerie. L'économie s'arrêterait de tourner, les gens désorientés arpenteraient les rues d'un air hagard, et c'est toute la civilisation qui s'effondrerait en une poignée de minutes. Autrement dit, les gens à qui vous confiez vos petits messages vont les protéger comme s'ils étaient la prunelle de leurs propres yeux, et se mettre eux aussi à les dupliquer pour parer à toute catastrophe thermonucléaire. En général au moins 3 fois, et sur deux sites géographiques différents. N'en jetez plus ! Mais pourtant si, car on peut toujours aller plus loin.
Votre petite image n'a pas tout à fait terminé sa course diabolique. En fait, elle ne peut pas être lue depuis le serveur de messagerie, donc elle doit être récupérée pour s'afficher sur votre ordinateur, tablette, smartphone, ou tout ce que vous voulez d'autre. A partir du moment où l'image va s'afficher dans un client de messagerie c'est qu'elle aura été décodée (on arrête de jouer aux chiffres et aux lettres) puis stockée au préalable en tant que fichier dans un répertoire temporaire. Et bien sûr ce répertoire dit temporaire est vidé à la Saint Glin Glin si vous ne vous occupez pas vous même de le faire régulièrement, donc vos copains auront encore tous une petite copie cachée de votre image. Et s'ils le souhaitent, ils peuvent en remettre une couche en la téléchargeant eux-mêmes à un endroit de leur choix. Et ils peuvent aussi décider, dans un excès d'inconscience totale, de transférer votre message en relançant le manège pour un nouveau tour.
Dernière pierre à l'édifice, si lesdits copains (mais vont-ils le rester longtemps avec ce genre de comportement irresponsable ?) utilisent un client de messagerie comme Outlook ou Thunderbird pour visionner leur mail, et qu'ils ont laissé activée l'option qui télécharge automatiquement les messages localement, ils vont, en plus du reste, archiver votre message sur leur machine, mais cette fois c'est en version chiffres et lettres plus volumineuse.
Ayé, notre petit message a fini sa promenade. Mais vous l'aurez compris, pas sa vie puisqu'il va pouvoir continuer à consommer sa petite part de ressource aussi longtemps que toutes les machines qui l'ont fait transiter en garderont une copie. Alors vous êtes content de vous vraiment ? Est-ce que vous souhaitiez réellement voir votre photo prise en 4 secondes engorger le réseau mondial, et finir recopiée sur des dizaines de serveurs, d'appareils de vos amis, sans compter ceux de la NSA qui écoutent tout ce que vous écrivez ? Non, bien sûr que non (qui a dit oui ? il y en a qui vont se prendre une retenue de souris vertes, avec recopie complète des articles les plus longs, s'ils continuent leur mauvais esprit). Mais je sens bien votre angoisse et votre désarroi, vous ne savez pas comment agir autrement. Eh bien les souris vertes vont vous donner leur méthode, libre de droit et sans publicité cachée. Et pour le même prix elles ne répondent pas à une, mais bien à deux questions existentielles qui vous taraudent.
Ah ah voilà une question qu'elle est intéressante. Eh bien déjà dans la plupart des cas la souris verte ne fait rien. Elle suit en cela le proverbe sourisien bien connu qui dit qu'il est plus simple de ne pas ouvrir le robinet plutôt que de réfléchir des heures à la forme de la serpillière à passer derrière. On ne peut qu'acquiescer à cette logique élémentaire mon cher Watson.
Cela dit, la souris verte a tout de même parfois des choses à raconter. Quand elle doit le faire, elle choisira alors le poids des mots au choc des photos, quitte à déplaire aux journalistes de Paris Match pour qui l'un ne va pas sans l'autre.
Pour un cas d'importance majeure où il faut envoyer du fichier, elle s'assurera que celui-ci est convenablement encodé et compressé (nous ferons tout un dossier sur ces notions prochainement, d'ailleurs, pour que tous nos fidèles lecteurs puissent en faire de même). Et arrivée là elle doit choisir entre deux possibilités :
Qu'est-ce que c'est donc que cette bestiole ? C'est tout simple, vous envoyez votre fichier sur un serveur de téléchargement, et vous donnez dans votre message le lien qui permet d'y accéder. Résultat, votre message pèse le poids d'une plume, court-circuite toute l'étape d'encodage/décodage gaspillatoire, et votre fichier se retrouve à la fin uniquement téléchargé une fois et une seule sur la machine de ceux de vos amis qui étaient intéressés, c'est-à-dire ceux qui ont fait la démarche consciente de le récupérer. Est-ce que ça n'est pas tout simplement magnifique ? Et encore mieux, les serveurs de téléchargement YoupiUpload ou SuperTransfer ne laissent votre fichier en accès qu'un certain temps (généralement un mois), ensuite il est automatiquement supprimé, donc on ne pollue pas pendant des dizaines d'années en encombrant les recoins sombres de serveurs distants. Pour ceux qui utilisent Thunderbird, il y a même des extensions qui transforment automatiquement une pièce jointe en un lien, et envoient le fichier au service de téléchargement de votre choix sans que vous n'ayez à vous occuper de rien. Il y a sûrement des solutions similaires pour d'autres clients de messagerie, et dans tous les cas avec un peu d'habitude même la procédure standard ne requiert pas beaucoup d'effort.
Alors évidemment, il va falloir une bonne dose de sang-froid pour ne pas tomber dans l'inévitable piège à couillons qu'on nomme l'effet rebond : avec notre super méthode, on peut non seulement remplacer nos petits fichiers envoyés par mail, mais on peut même en envoyer plein plein, et même des énormes, qui exploseraient les quotas autrement. Waouh ! Des centaines de mégas, des gigas, génial ! Bon, vous serez heureusement freinés par votre débit montant pourri, merci le réseau, qui vous dissuadera bien vite quand vous vous rendrez compte qu'il faut deux heures à chaque fois pour mettre votre fichier en ligne. Mais ça serait bien que la limite vienne de vous, quand même. Vous n'avez qu'à vous afficher au dessus de votre lit ce magnifique slogan que les souris vertes mettent gracieusement à disposition des autorités de prévention numériquière : "le numérique, c'est pas automatique".
Je mentionne en passant qu'il existe un protocole informatique spécifiquement dédié au transfert de fichier, le FTP (File Transfer Protocol, je donne le nom parce qu'on peut le comprendre pour une fois), mais d'abord c'est pour un échange entre un client et un serveur, et vos copains ne vont pas tous héberger un serveur FTP juste parce que vous avez décidé de leur envoyer votre photo, et ensuite c'est sans doute une des manières les moins sécurisées d'échanger des données qui existe au monde, à part de les placarder directement sur votre porte d'entrée (et encore). Donc on oublie.