"Départ pour le front
Dans la neige profonde
Il n’y a qu’un chien assis."
Mukai Kyorai (1651-1704)
Comment débuter ce blog ? Après plusieurs années passées à tergiverser, après avoir envisagé d'écrire un livre sur l'écologie du numérique, voilà que j'emprunte un chemin de traverse totalement intattendu pour moi. C'est que je suis spontanément méfiant de la liberté prétenduement absolue que nous procure internet, et que même si je m'en sers avec grand plaisir je n'y interviens qu'avec parcimonie, voire beaucoup de réticence.
Alors pourquoi commencer un blog ? Pourquoi aujourd'hui ? Cela fait un bon moment que je sens que quelque chose ne tourne pas rond dans notre rapport aux objets numériques, que l'on utilise quotidiennement, voire à outrance, sans en apercevoir les limites matérielles et les implications finales sur l'environnement. Je suis toujours très étonné que, parallèlement à la multiplication des discours sur l'écologie qui touchent presque toutes les facettes de la vie en société, du transport à l'alimentation en passant par l'habitat, aucun regard critique ne semble émerger sur les outils numériques, et que les fameux "petits gestes du quotidien" qu'on nous propose pour préserver l'environnement ne concernent jamais les objets que nous utilisons pourtant à longueur de journée et qui nous accompagnent partout.
Pire même, je trouve que les technologies de l'information, comme on les nomme aujourd'hui, ont pris la place de la vielle croissance industrielle qui s'est avérée moins infinie qu'on ne le pensait. On peut donc avoir des forfaits illimités pour des connexions illlimitées à des ressources qu'on peut stocker, échanger, récupérer de manière infinie et ce jusqu'à la fin des temps. On pourrait même penser que nos problèmes écologiques vont se régler magiquement à l'aide de ces nouvelles technologies, de ces capteurs intelligents ou de ces plateformes de collaboration qui permettent de mutualiser tant de choses.
Alors non. Les ressources numériques sont limitées. Ce qu'elles permettent de faire est limité. Leur utilisation a un impact réel et matériel, qui ne s'évapore pas miraculeusement dans les nuages. C'est un outil bien pratique, qui permet des choses formidables, mais comme tout outil il faut apprendre à s'en servir, et j'ajouterais aussi à ne pas s'en servir. En tant qu'informaticien, je serais le premier à regretter que tout ce merveilleux monde de l'informatique n'ait pas existé. Mais s'il faut un jour arbitrer, ce qui arrivera probablement dans un futur plus ou moins proche, entre avoir à manger et avoir un accès internet, mon choix sera vite fait.
Une bonne dose de paresse et de procrastination fait que je ne commence ce blog que plusieurs années après en avoir conçu le projet, et de fait, contrairement à il y a peu, on peut trouver aujourd'hui quelques voix qui commencent à s'exprimer sur les conséquences écologiques des technologies numériques. Elles restent cependant encore très minoritaires, et se contentent souvent d'aborder la question par la voie des Grands Chiffres (combien de milliers de personnes consomment autant qu'un datacenter, combien de millions de milliards de photos sont échangées chaque jour sur Facebook, ...). Ces aspects sont importants mais sont difficiles à reconnecter avec les usages quotidiens que nous avons de nos ordinateurs, téléphones et autres appareils numériques.
Loin d'essayer de faire abandonner les technologies numériques au profit du proverbial âge de pierre et de la bougie, ce blog a donc comme objectif de faire mieux connaître ces technologies pour les utiliser à bon escient et en prenant conscience des mécanismes qu'elles sous-tendent. Une forme d'émancipation numérique en sorte, à un niveau très terre à terre. Nous nous poserons par exemple les questions : faut-il ajouter une pièce-jointe à un mail ? Est-il réellement plus écologique de stocker ses données dans le Cloud ? Et plus encore...
Souhaitons que la Petite Souris Verte (TM) puisse rester notre amie aussi longtemps que possible et continuer à cohabiter avec le reste du monde. En route donc pour notre aventure à travers les méandres de la campagne numérique...
"De trois côtés
Les papillons sont partis en volant
Rose trémière."
Matsuyama Teitoku (1571-1653)