"Sous la lune voilée
Les fleurs de Kaido
Sommeillent"
Nagata Koi (1900-1997)
Bon, d'accord, il faut le reconnaître, les souris vertes renâclent au travail en ces belles journées de printemps, et il est bien difficile de les faire assoir derrière un bureau pour qu'elles nous dispensent un peu de ces remarquables conseils dont elles ont le secret. Moi-même, je dois dire, je suis épuisé de courir après elles toute la journée sans parvenir à les rassembler plus de deux minutes consécutives pour une session experte de Petits Gestes en jus ou de confiture de Grand Dossier.
Mais, justement, cette situation bien inconfortable à la rédaction des Souris Vertes est l'occasion d'aborder un sujet qui, pour une fois, sera moins prosaïque que le réglage de la luminosité de l'écran ou le nombre d'octets traités par un processeur. Disons le tout net, ce blog est une honte qui méprise toutes les règles de l'art en la matière, en inondant les pauvres lecteurs de milliers de signes (fort heureusement encodés de manière très efficace, donc sans dommage notable pour l'environnement), alors que l'on sait bien qu'il faut faire court et percutant, et en suivant un rythme de publication qui ressemble à la course de l'escargot en pleine sieste.
Eh bien précisément, cher lecteur, puisqu'il va te falloir patienter encore et encore jusqu'à la publication d'un article digne de ce nom (on n'ose même plus espérer la suite de notre Grand Dossier du Moment, qui s'éternise alors même que le désarroi envahit les foules), prenons quelques instants pour méditer sur cette patience nécessaire, et sur notre rapport au Temps, et la majuscule n'est pas de trop.
Un des paradoxes de notre société ultra-numérisée actuelle est que, bien qu'elle nous offre des moyens de communications toujours plus efficaces, voire quasi instantanés, nous n'avons jamais vécu aussi peu dans le présent. Le passé, c'est entendu, n'a aucune valeur, bien vite obscurci par des flots d'information qui le recouvrent et l'ensevelissent en un clin d'oeil. Mais, bien que la liesse de consommation ambiante se présente sous des dehors hédonistes qui affirment que nous sommes de joyeux drilles qui savons jouir du présent comme personne, la vérité est que nous ne nous y arrêtons jamais, dans ce fameux présent. Pourtant, on ne peut pas dire que nous soyions tournés non plus vers l'avenir, qui n'est pas particulièrement radieux si on le regarde d'un peu trop près ou que l'on se prend à écouter un instant les prédictions de fin du monde dont nous sommes quotidiennement bombardés. Tout au plus pourra-t-on choisir son poison, guerre mondiale totale pour les ressources fossiles restantes, asphyxie par pollution généralisée de l'air et de l'eau, famine monumentale, désertification de toutes les régions habitables du globe. Brrr, non merci le futur.
Alors quel temps habitons-nous donc, à vivre ainsi à la vitesse de l'électron, connectés par tous ces appareils numériques ? Si je devais le qualifier, je l'appellerais le temps de l'instant d'après. Jamais totalement relâchés et attentifs à ce qui nous entoure, toujours en anticipation du message qui vient, de la nouvelle qui tombe, du rendez-vous qui suit, nous resterons rivés à nos écrans à attendre, mais attendre quoi ?, quand bien même ce que nous souhaitons de plus cher viendrait s'assoir discrètement à nos côtés. La consommation excessive de séries télévisées, dont l'auteur a dû suivre une cure de désintoxication carabinée pour s'extraire, participe très exactement de ce mouvement permanent vers l'après, la suite de la suite de la suite de la suite, la série parfaite étant celle qui n'aurait jamais de fin.
Ainsi, comme un joueur d'échecs frénétique en permanence en train de penser au coup d'après, nous sommes toujours tendus vers un ailleurs et un après et n'habitons que bien rarement l'instant et le lieu que notre corps occupe. Bien sûr, tous ces travers ne sont pas l'apanage des Technologies de Communication et d'Information ; il est tout à fait possible de s'évader dans un livre par exemple, ou même simplement dans ses pensées, et c'est sans aucun doute indispensable pour conserver un rapport équilibré au monde et à notre environnement. Mais, ce que permettent nos petits outils numériques et nos connexions permanentes, c'est un mode de retrait permanent et d'effacement total. Que vous soyez au fond de votre canapé, noyé dans la foule du marché, planté en plein désert ou perdu au milieu d'une forêt, quelques petits gestes suffisent pour bannir le monde et le tumulte ambiant et vous retrouver dans votre petit univers numérique familier. Pouvoir fascinant s'il en est, mais ô combien dangereux s'il finit par anesthésier notre relation au réél et à nous rendre incapable de sentir, de goûter, d'observer, et surtout d'attendre.
Car l'attente est le lieu formidable des petites surprises qui manquent cruellement à notre univers surdéterminé et entièrement prédictible. Parfois même la surprise naît du fait qu'il n'y a pas eu de suprise, et n'est-ce pas déjà un motif d'étonnement joyeux ? Alors, oui, militons pour l'attente partout et tout le temps, pour ces belles occasions de lever le nez au ciel, de regarder à nos pieds, de s'extasier sur les gens qui passent. Attendre au feu rouge, attendre le bus, arriver en avance même à nos rendez-vous pour nous offrir ces petits moments gagnés sur le temps qu'on ne veut pas perdre.
Attendre cet oiseau qui se pose à quelques pas. Attendre ce nuage qui ne se presse pas. Attendre la pluie qui ne vient pas.
Et surtout attendre le formidable prochain article des souris vertes !
"Mon reflet dans le miroir
J'attends
Qui bougera le premier ?"
Midoriro no Mausu (la Souris Verte)
"La pleine lune brille
Sur les nattes
Ombres de pins"
Takarai Kikaku (1661-1707)
Aujourd'hui on s'intéresse tout spécialement à nos Petits Compagnons les appareils mobiles, téléphones, tablettes, ordinateurs portables, liseuses, appareils photo, caméscopes, bref tout ce que vous pouvez imaginer de près ou de loin qui a un écran et qui se transporte sans l'aide de trois ou quatre déménageurs bretons. Tous ces appareils ont deux choses en commun. Enfin sûrement plus en fait, mais là pour les besoins de l'article on va faire comme si.
Deux choses donc. Devinerez-vous lesquelles ? Ah ah oui, effectivement, il y en a une qui est super facile à trouver vu qu'on vient d'en parler : l'écran. Donc tous nos appareils possèdent un écran. Et ? Qui a dit un mode d'emploi ? Franchement, pas du tout, c'est totalement irréaliste si vous avez acheté votre appareil avec juste un petit ruban de plastique autour dans un petit magasin chinois souterrain, ou sur le bon coin si vous êtes un recycleur convaincu (ou tout simplement fauché). Une autre proposition peut-être ? Ah, j'ai une réponse que je trouve fort savoureuse de la part d'une petite souris verte espiègle : un humain qui les transporte partout. Bien vu ! Mais ça n'est pas encore la bonne réponse. Allez, je ne vais pas vous laisser donner votre langue au chat, sans quoi les souris vont détaler à toutes jambes, et je vous le donne tout cuit : tous ces appareils comportent une batterie.
Quel rapport avec la choucroute me direz-vous ? Euh, avec la choucroute, pas grand chose, sauf si à force de tripoter votre écran avec des doigts gras vous n'y voyez plus rien dessus et que ça vous oblige à augmenter les réglages. Par contre, entre batterie et écran, c'est un peu une histoire sombre (sans mauvais jeux de mots) de frères ennemis qui se livrent une lutte à mort, où tous les coups sont permis et où le sang coule à flots. Il y a une bonne raison à cela : l'écran est en fait LE composant qui consomme du watt, du kilowatt, du mégawatt, un vrai boulimique d'énergie. Quelle que soit la fonction de votre appareil, quand bien même ça serait un lecteur audio ou un GPS, c'est son écran qui pompe toute la batterie dès qu'il est allumé. Alors, dans cette guerre sans merci, les Souris Vertes ont clairement choisi leur camp, celui de la batterie. Pourquoi donc ? Après tout ces saloperies (et je pèse mes mots) au lithium quasiment pas recyclables, qui perdent la moitié de leur capacité en deux ans, polluent pour les produire, puis encore plus quand on les jette, ne méritent-elles pas notre mépris le plus total si on a un tant soit peu de conscience écologique ? Oui, trois fois oui.
Mais il faut dire tout de même une chose de la batterie, si on la retire l'appareil ne fonctionne plus. Ce qui, vous le remarquerez, n'est pas nécessairement le cas de l'écran, même si, je le concède, quand il ne marche plus du tout ça devient compliqué d'utilisation. Donc déjà la batterie, on devra vivre avec même avec ses défauts. Mais surtout, notre argument massue, la santé de la batterie est en fait ce qui conditionne la durée de vie de l'appareil. Etant donné que ces composants abominables ne sont souvent pas remplaçables, sauf si vous avez le courage de les expédier au bout du monde pour le prix modique d'une transplantation cardiaque, et d'attendre sagement quelques décennies pour qu'on vous renvoie un appareil où l'on a expertement changé la Carte Bidule dont vous n'aviez que faire, mais où la batterie est très exactement la même. Bref, autant dire qu'une fois que la batterie est à plat, c'est plus ou moins la poubelle assurée, vu qu'il y a un intérêt limité à avoir un appareil portable dont l'autonomie avoisine les dix minutes tout mouillé.
Donc, même si ça nous coûte, nous militons activement pour la préservation de la batterie. Et pour ça, il existe un Petit Geste tout bête, tellement simple qu'on s'en voudra de ne pas y avoir pensé plus tôt : demander gentiment à l'écran d'arrêter de tout bouffer. Si vous avez lu notre article sur les écrans, vous devez vous souvenir que le moyen le plus efficace serait sans doute de baisser sa résolution, généralement bien trop élevée pour les usages du quotidien. Seulement l'affichage devient totalement baroque quand on demande à un écran de fonctionner hors de sa résolution native, et de toute manière cela ne fera pas baisser le nombre extravagant de cellules qu'il faut alimenter à grand coup de jus de batterie. On va donc se rabattre sur un autre moyen beaucoup plus simple et néanmoins très efficace, que vous connaissez déjà puisque vous avez lu le titre : baisser la luminosité.
Avant que vous ne montiez sur vos grands chevaux et que vous ne commenciez à crier au scandale, et comment je mets les enfants devant une vidéo pour avoir la paix si l'écran est tout sombre, et comment je peux jouer aux pingouins qui font des courses à ski si j'y vois rien, et tout ce qui s'ensuit, je me dépêche de préciser que les écrans d'aujourd'hui ont des luminosités maximales De Maboul. Ils sont conçus grosso modo pour rester lisibles en plein désert, à contre-jour, en plissant les yeux et avec deux paires de lunettes de soleil superposées. Admettez que vous n'êtes pas souvent dans ces conditions extrêmes. Et puis il faut compter aussi sur le fait que votre oeil aura vite oublié que les couleurs ne sont pas aussi éclatantes que si elles avaient été lavées avec la lessive X de Mme Michu, donc dans les deux minutes où vous aurez baissé la luminosité vous ne vous en apercevrez même plus. Allez-y, essayez, 50%, 30%, voire encore moins si vous regardez l'écran dans le noir. Non seulement vous aurez amélioré notablement la durée de vie de votre petit copain, mais en plus vous vous aurez permis à la sécu d'épargner de grosses dépenses ophtalmologiques. Et, parce qu'un miracle n'arrive jamais seul, cette petite recette s'applique à tout ce qui a un écran, oui, même votre calculatrice, votre téléviseur, votre four-micro-ondes, votre ordinateur de bord automobile et votre souris téléguidée.
Alors on envoie des courriers de remerciements par millions aux souris vertes qui vous aident à sauver tout à la fois les humains, les machines, le système de santé et la planète !
"Sur du papier à pharmacie
Je jette des poèmes
Nuit glacée"
Kaneko Tota (1897)
Autant vous prévenir tout de suite : cet article est une commande. Aaaaaaargh ! Traîtrise et trahison ! C'était trop beau pour être vrai, les souris vertes sont donc elles aussi vendues à l'Empire du Mal et ne sont qu'une façade (très élégante) destinée à nous vendre de la camelote numérique au rabais ? Quels sont donc les sponsors horribles qui se cachent derrière ce site ? Combien de marées noires, de mines à ciel ouvert, de fontes de glacier sa fréquentation massive finance-t-elle secrètement ? Le lavage vert à coups de souris vertes, vraiment il n'y a plus de limites à la bassesse humaine.
Allons allons, on se calme et on respire un grand coup. Il ne s'agit pas du tout de cela car, sachez-le, les souris vertes reçoivent un courrier des lecteurs incroyablement volumineux, des dizaines de milliers de millions de milliards de lettres par jour pour nous encourager et nous proposer des idées géniales d'articles. Et, parmi tout ce courrier, une lettre fort touchante qui nous vient du petit François P., 8 ans, et qui nous demande ceci : "est-il possible de trouver une imprimante écologique ?" N'est-ce pas attendrissant de voir un enfant s'intéresser à une si noble cause plutôt que d'aller passer ses journées sur son profil Facebook ou sa console ? Certains adultes devraient en prendre de la graine. Vous comprenez bien que, dans ces conditions, les souris vertes n'ont d'autre choix que de se mettre en quatre pour répondre à notre jeune lecteur, dans une activité frénétique et un branle-bas généralisé.
Il faut préciser tout de même que, si le choix nous était donné, nous préfèrerions largement attaquer de front certains des problèmes les plus difficiles de la science moderne, comme la démonstration de la conjecture de Dunbach-Goldberg, ou bien la mise en évidence expérimentale de la loi quantique de Shroedingus (celle qui affirme qu'une souris peut être en même temps verte et bleue). C'est que le problème posé par notre ami est d'une complexité redoutable. En effet, l'imprimante est sans doute la démonstration la plus exemplaire d'obsolescence programmée, un appareil à la mécanique en papier mâché qui, si vous vous appelez Mc Gyver et que vous possédez une trousse à outils turbonucléaire, pourra sans doute tenir sans vous lâcher le temps de l'impression d'une ou deux feuilles recto-verso. Si on allie à ça un software intégré qui fait pâlir d'envie les meilleurs spécialistes de la Programmation Avec Les pieds, on comprend que le sujet du jour est un défi bien costaud.