"La selle ôtée
Nue et froide m’apparaît
La croupe du cheval"
Tanaka Hiroaki (1873)
Aujourd'hui nous cultivons une petite pointe d'étonnement légitime et de surprise (on hésitera à ajouter horrifiée), d'autant plus pour nos petites souris vertes qui ne se déplacent qu'à quatre pattes, et généralement à la vitesse de la souris verte, soit relativement loin des engins à moteur qui parsèment nos routes, nos parkings, nos villes et nos campagnes.
Ne doutons pas que peu de personnes feront preuve de la naïveté touchante qui consisterait à penser que l'automobile n'est qu'un simple moyen de transport, car il est bien connu désormais qu'il s'agit bien là d'un doudou géant, voire d'une maison miniature, sans compter un symbole roulant de votre identité triomphante. Mais, au-delà de ces considérations qui n'ont rien de particulièrement nouveau, il est des transformations silencieuses de nos petites zotos qu'il nous faut regarder attentivement, pour ce qu'elles révèlent de notre société aussi bien que pour leurs impacts écologiques et technologiques bien réels.
Comme l'indique assez remarquablement le titre de cet article, nous jetons le projecteur aujourd'hui sur la tendance à l'informatisation galopante dans les véhicules à moteur. Il paraît difficile d'ignorer ce phénomène, vu que plus personne n'est capable de démarrer une voiture ou d'activer les essuies-glaces sans un mode d'emploi ressemblant au manuel de votre système d'exploitation. Mais sait-on bien quelle quantité d'électronique équipe notre voiture aujourd'hui, et surtout à quoi elle sert ? Loin d'être des spécialistes du sujet, nous nous contentons de jeter un pavé dans la mare qui, espérons-le, permettra de se questionner à bon droit et de ne pas accepter comme nécessaire et inéluctable un cours des choses que bien peu de gens ont réellement appelé de leurs voeux.
De la délégation du geste à l'obsession du contrôle
Bien bien, il est temps de s'interroger sur la finalité de cette avalanche de composants électroniques que l'on insère joyeusement dans nos voitures. A quoi servent-ils réellement ? Un jeu de Lance Ton Pingouin intégré directement dans les commandes au volant ? Un système de guidage par ultra-son pour localiser les souris vertes cachées sous les roues ? Une alerte automatique au conducteur lorsque son regard se détourne plus de quinze millisecondes de la route ?
On n'est pas très loin de tout cela, en vérité. Au delà des évidentes sucreries multimédia (DVD intégré pour calmer les enfants à l'arrière, GPS dernier cri pour les passagers avant) qui paraissent bien indispensables à tout voyage automobile, c'est surtout du côté des capteurs à tout crin que l'on va en mettre une bonne couche. On pourra voir cet exemple de schéma fascinant de tout ce qu'un constructeur de micro-composant peut vous offrir de mieux pour votre confort et votre sécurité : contrôle de consommation du moteur, radar de recul, contrôle de l'airbag, détection automatique d'effraction, et même, joie et félicité, un module de démarrage à distance de la voiture.
Et encore, il manque dans cette belle description un tas d'options indispensables qu'il m'a déjà été donné de rencontrer dans ma longue carrière de passager, comme la gestion de l'ouverture du coffre par l'appui sur un petit bouton (ne pas confondre avec une poignée, ici tout cela est bien pris en charge par un petit moteur relié à notre système intelligent), l'ordinateur de bord qui détecte la présence des ceintures de sécurité et la position correcte des fesses de chacun des passagers, les sièges réglables électroniquement, etc.
Or nous sommes forcés de constater que toutes ces incroyables améliorations à la vie quotidienne ne sont en réalité que des économies de gestes somme toute relativement peu épuisants. Il était déjà apparemment trop demander à un passager de tourner une poignée pour baisser ou relever sa vitre, on peut maintenant avoir le même niveau de paresse en ce qui concerne le réglage des rétroviseurs, l'ouverture de sa portière, le fait de tourner la clé dans le contact, et ainsi de suite. Déjà que l'automobile est un des modes de transport qui sollicite le moins l'activité physique, on peut ainsi achever de se transformer en un légume complet qui ne lèvera pas le petit doigt pour réaliser la moindre action. Franchement, pour ces merveilles, on peut sans hésiter supporter les petits inconvénients décrits par ces rabats-joie de souris vertes, comme une pollution accrue et des pannes multiples. Une fois de plus, cependant, on ne peut que constater la portée universelle de cette maxime que nous devons au Professeur Souriso : "petit confort entraîne grosses dépenses".
Remarquons tout de même qu'il est un autre effet indésirable de la prolifération de l'électronique véhiculaire, à savoir la perte d'autonomie du conducteur dans sa petite auto. On a déjà dit ce qu'il en était de notre pauvre garagiste voué à l'extinction, mais il faut dire que le conducteur n'est pas franchement mieux loti : les systèmes mis en place ont comme parti pris que l'humain est faillible, et la machine non, autrement dit c'est toujours l'ordinateur qui a raison quoi que vous en disiez, et non, vous ne pourrez pas démarrer sans avoir mis votre ceinture, même si pour une raison quelconque cela ne vous est pas possible immédiatement, non vous ne pourrez pas avancer la portière mal fermée, etc. Vous serez ainsi aux ordres d'un petit tyran numérique qui vous dictera sa loi et n'entendra jamais qu'il peut y avoir des exceptions lorsque l'on roule sous deux mètres de neige ou que l'on doit manoeuvrer à flanc de colline. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin, tant qu'à faire autant carrément dégager cet humain inutile de l'habitacle pour laisser nos voitures se conduire toutes seules. C'est la promesse d'un futur proche et vraiment radieux.
Vers la robotisation du conducteur
Depuis quelques années qu'on nous rebat les oreilles avec la voiture dite intelligente qui se promène toute seule, il semblerait qu'elle soit en passe d'arriver enfin chez nos concessionnaires pour faire la joie du Grand Public prêt à se ruer sur ce nouveau jouet. On ne s'étendra pas trop sur le sujet, bien que nombre de prophètes nous dépeignent l'avenir à grand coup de conduite robotisée, à vrai dire aux souris vertes on prédit un Bide Total pour cette vision qui emprunte toutes les mauvaises pentes de l'objet industriel non durable : miniaturisation forcenée, boulimie de processeurs et autres composants très complexes à produire (100 processeurs différents au minimum sont nécessaires au fonctionnement de ces joujous, d'après ce qu'on peut lire), multiplication de capteurs ultra-sensibles et fragiles, impossibilité de réparation ou de remplacement de la moindre pièce, dangerosité extrême d'une défaillance du système (on attend avec impatience de voir la qualité des composants équipants les voitures destinées au bon peuple, qui, n'en doutons pas, n'auront que des liens de parenté relativement éloignés avec les prototypes survitaminés de Google ou autre entreprise enthousiaste).
La seule bonne nouvelle qui nous vient de ce gaspillage d'énergie et d'intelligence collective vient du fait que la puissance des processeurs embarqués commençant à entamer sérieusement la capacité des batteries qu'il est possible d'emmener, on est forcé et contraint de commencer à s'interroger sur le gabarit des véhicules et la vitesse à laquelle on peut les faire rouler de manière crédible. Une fois que votre voiture intelligente saura, à prix d'or et à grand frais environnemental, vous faire parcourir une vingtaine de kilomètre à la vitesse moyenne de 30 km/h, en vous permettant de porter avec vous un sac de 5 kilos, on pourra enfin s'interroger sérieusement sur la pertinence du vélo qui vous propose ce service sans vous prendre pour un assisté fini et sans vous voler toutes vos économies au passage.