"Verse l'averse d'automne -
Le chemin
Encore et toujours"
Taneda Santôka (1882-1940)
Attenzione, attenzione, aujourd'hui, on se prépare à un Petit Geste qui décoiffe, une idée tellement incroyable que personne n'aurait raisonnablement pu l'émettre à part une souris verte totalement passée à côté de son éqoque (les souris grises ou violettes sont déjà, paraît-il, outrageusement équipées de petits appareils numériques), à savoir la Direction Non Assistée, la Navigation Sans Assistance, le Déplacement Hors Ligne, la Marche Déconnectée, bref toutes formes de transport excessivement exotiques qui se réaliseront sans l'aide du moindre appareil numérique, même pas le plus petit non non.
Je vois poindre ici la circonspection naturelle de nos chers lecteurs, qui savent bien que ceci est impossible et que toute navigation à pied, à cheval ou en vélo, voire en bateau, en train, ou en voiture à pédale, se fait nécessairement grâce à un formidable système mondialement mondial appelé GPS. Eh bien, nous nous promettons ci-devant et avec panache de vous livrer des astuces incroyables qui vont vous permettre de vous déplacer autrement et sans l'aide de vos petits compagnons numériques quotidiens. Si si ! Mais avant ces formidables conseils qui vont certainement changer la face du monde, n'en doutons pas, expliquons un peu la motivation du pourquoi on pourrait vouloir se passer de notre copain GPS. C'est parti !
Le problème
C'est étonnant, mais nous n'avons jusqu'ici jamais eu l'occasion de parler vraiment de ce petit système GPS qui nous aide tant. Pourtant, il est difficile à éviter, le bougre, étant donné qu'on le capte absolument partout. Car oui, le GPS, avant d'être un système de localisation, est avant tout un réseau : il s'agit d'un ensemble d'émetteurs qui, sur une plage de fréquence et selon un protocole spécifiques, vous envoie très gentiment votre position où que vous soyez sur terre. Mais comme il ne s'agit ni d'un de vos amis qui vous suit partout, ni d'un medium particulièrement performant, il faut bien qu'il y ait un petit trucage à cette prouesse digne des plus grands magiciens de ce siècle, et celui-ci n'est pas particulièrement subtil : le système GPS est en réalité composé d'un ensemble de satellites disposés en orbite un peu partout au-dessus de la planète. Grâce à une méthode géométrique bien connue de triangulation, si vous pouvez connaître votre distance à 3 points fixes, donc à 3 satellites, vous pouvez en déduire votre position absolue partout dans l'espace. Formidable !
Remarquez au passage que votre petit récepteur GPS communique donc avec pas moins de 3 satellites à chaque fois qu'il souhaite connaître sa position. Autrement dit, pour me localiser, il me faut donc : une trentaine de satellites dans l'espace, plus une puce GPS ultra minuscule dans mon appareil capable de leur parler doucement. Mais, à vrai dire, comme vous ne ferez pas grand chose de vos coordonnées sphériques à la surface du globe, il faut tout de même rajouter une petite couche logicielle supplémentaire, et un peu de réseau traditionnel pour nous afficher une carte au dessous de notre point qui clignote. Ce système est diablement efficace, mais c'est à peu près le plus coûteux qu'on aurait pu imaginer si on se donne comme proposition le fait de s'orienter simplement (même en restant sur le même modèle, par exemple, on pourrait sans doute trianguler à partir d'objets légèrement plus près que 30 km dans l'espace).
D'ailleurs, si l'on trouve désormais pas mal de monde pour s'indigner des géants américains du web qui colonisent notre univers mental, personne ne semble s'inquiéter outre mesure du fait que l'ensemble du système GPS, satellites et protocoles inclus, appartient à l'armée américaine qui l'avait certainement mis en place pour des raisons altruistes et bienveillantes, et dans un souci constant d'amour du prochain. Il est bien pratique qu'elle n'ait plus besoin de se démener pour espionner les gens, puisque la moitié de la population lui signale bien obligeamment sa position plusieurs centaines de fois par jour.
Mais, au-delà de l'aspect inquiétant de Big Brother Is Watching You From Space, c'est surtout côté débauche environnementale que tout cela commence à piquer le nez. Si l'on considère qu'en moins de 40 années d'existence, le programme GPS a déjà lancé 70 satellites (on pourra voir le détail ici de tous ceux qui ont déjà été décommissionnés de cette belle opération), on voit que l'addition va commencer à être salée s'il faut continuer à construire des fusées et des satellites à un rythme effréné pour continuer à trouver notre chemin jusqu'à la pizzeria.
D'autant que tout le monde n'est pas resté insensible au fait qu'une fois de plus, et à notre grand dam, les Etats-Unis dominent le monde et nous regardent de haut. L'Europe a donc décidé de créer son propre système de localication, dans un branle-bas généralisé d'une envergure telle qu'elle aurait pu le nommer Opération Puma des Neiges ou Objectif Gros Oeil de Lynx, mais qui est plus modestement appelé Galileo. Le contribuable sera donc bien rassuré de savoir qu'il finance avec bonheur le lancement prochain d'une nouvelle salve d'une trentaine de satellites, afin de faire la même chose qu'avant, mais nous-même tout seuls. Nous confessons aux Souris Vertes une profonde ignorance dans le domaine des déchets spatiaux, vu que nous n'avons pas la joie d'en croiser tous les jours au fond du jardin, mais il y aurait sans doute un excellent sujet à creuser pour les gens qui s'intéressent à la pollution spatiale. Surtout que ces appareils sont judicieusement placés de manière à hanter notre ciel direct pendant quelques milliards d'années si personne ne s'avise de trop les déranger, ou s'ils ne nous tombent pas sur la tête avant.
Rappelons également que la puce GPS de votre copain électronique, qui émet constamment dans votre dos, est une consommatrice de batterie bien sérieuse, et qu'il est également intéressant pour la durée de vie de votre appareil et son autonomie de lui couper le sifflet aussi souvent que possible.
Bref, le système GPS est "bien pratique", pour reprendre une expression que nous bannissons aux Souris Vertes car elle se traduit généralement par "situation qui m'économise un geste que j'aurais pu réaliser sans effort, mais dont je suis bien aise de me dispenser en contrepartie d'un gaspillage de ressources que je ne suis pas obligé de voir", mais on peut sans doute imaginer de réaliser nos déplacements quotidiens de manière aussi efficace sans faire appel à de la Technologie de l'Espace De la Mort.
La solution
Avant d'aborder une série de conseils fracassants concoctés par l'équipe de choc du professeur Souriso, reposons-nous un moment et accordons-nous un petit instant de contemplation haïkale (un adjectif que nous inventons pour la circonstance, il faut ce qu'il faut).
"Sans dévier
Il se dirige vers la mer
Le bébé tortue"
Midoriro no Mausu (la Souris Verte)
Bien, nous voilà prêts désormais à affronter la possibilité vertigineuse d'un déplacement sans aide électronique. Ceci peut paraître fou, voire dangereux tant le risque est grand de se perdre dans la forêt et de finir dévoré par les loups. Cela dit, les logiciels de navigation GPS ne sont pas exempts d'erreurs et constituent apparemment une cause de mortalité importante parmi les personnes qui s'aventurent dans le désert nord-américain. Autrement dit, vouloir quitter la chaleur de notre couette au petit matin, GPS sous le bras ou pas, constitue toujours un danger qu'il nous faut assumer vaillamment. Fort de notre volonté sans faille, comment allons donc pouvoir nous rendre à la boulangerie du coin, au travail, à la jardinerie la plus proche ?
C'est ici qu'après des années d'étude sur le sujet, le professeur Souriso est en mesure de formuler trois propositions incroyables qui résolvent ces questions délicates :
- l'utilisation d'un plan de ville (si l'on est en ville), d'une carte de randonée (si l'on est à pied mais pas en ville, c'est précis et ça marche même si l'on n'est pas en tenue de Super Marcheur Dynamique), ou d'une carte routière (pour tout autre moyen de transport visant une plus grande distance). A ce point, faisant fi de tout principe de neutralité commerciale, les Souris Vertes n'hésitent pas à recommander chaudement l'atlas Michelin des routes françaises qui, même pour quelqu'un qui ne possède pas de véhicule à moteur, est sans doute ce qui se fait de mieux pour trouver son chemin par tous les temps et sur toutes les routes. Et en plus il fonctionne sans pile, et même dans les coins les plus reculés du territoire où les réseaux finissent par s'évaporer dans l'air enfin pur.
- l'utilisation judicieuse des panneaux de signalisation. Il faut se rendre compte du nombre de panneaux routiers, même en ville, disposés et maintenus avec amour par une administration toujours soucieuse de ne voir personne s'égarer, qui sont maintenant snobés avec application depuis que chacun s'oriente avec l'aide du GPS mondial. Et pourtant ce système a fait ses preuves pendant plusieurs dizaines d'années, voire plus, et est diablement efficace, aussi bien pour diriger des piétons autant que des automobilistes. Ne laissons pas tous ces beaux efforts de signalisation se perdre dans le néant de l'oubli !
- le recours à la sagesse ancestrale des autochtones. Demander son chemin à quelqu'un d'autre qu'à Goût-Gueule peut sembler cocasse, mais à vrai dire il arrive très souvent que les gens aussi sachent s'orienter et donner des directions intelligentes pour aller quelque part. C'est également un moyen simple de goûter, sans excès et en toute sécurité, à l'exotisme du contact avec La Personne Du Cru, une expérience hors du commun que beaucoup doivent aller chercher à l'autre bout de la planète, quand ils pouvaient la réaliser sans attendre en éteignant leur smartphone quelques minutes. Renversante révélation !
Marche tout droit (ouwap)
On voit que notre professeur préféré n'a pas ménagé sa peine pour nous proposer ces belles alternatives à la navigation par GPS, raison pour laquelle nous n'hésitons pas une seconde à lui rendre ce vibrant hommage sous la forme de titre d'un paragraphe tiré d'une des meilleures chansons du regretté Claude François. On trouverait sans doute bien d'autres idées pour se déplacer simplement sans se perdre, et sans assistance numérique intégrée.
Alors, pour aujourd'hui et le restant de nos jours, débranchons le GPS, faisons taire la dame qui parle dans l'auto, et orientons-nous avec notre bon sens et quelques moyens low tech bien sentis. Et surtout, redécouvrons la joie d'errer sans autre but précis que celui de contempler toute la surprenante vie qui fourmille dans notre environnement familier, et que nous ne voyons plus à garder les yeux rivés sur des petits écrans. Cessons de réduire le vaste monde à une carte pixellisée et à quelques centimètres de largeur !